Gündem

CRISE POLITIQUE EN TURQUIE : LE PEUPLE SE MOBILISE POUR LA DÉMOCRATIE

Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul, arrêté après l’annulation de son diplôme. Manifestations massives violemment réprimées. Le peuple turc défend sa démocratie.

18 mars 2025 : L’offensive juridico-administrative

L’Université d’Istanbul a annoncé l’annulation rétroactive des diplômes de 28 personnes, parmi lesquelles figure Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul et figure montante de l’opposition. L’université invoque des “irrégularités manifestes” dans les procédures de transfert universitaire datant de plusieurs décennies. Cette décision extraordinaire est largement interprétée comme une manœuvre politique visant à créer un obstacle juridique à la carrière politique d’İmamoğlu.

Les avocats du maire ont immédiatement contesté cette annulation, soulignant que l’établissement fréquenté par İmamoğlu lors de son transfert était pleinement accrédité et reconnu par le Conseil de l’enseignement supérieur (YÖK) à l’époque des faits. Des experts juridiques indépendants ont qualifié cette mesure d'”application rétroactive sans précédent” des règlements académiques.

19 mars 2025 : Arrestation spectaculaire à Istanbul

À l’aube, Ekrem İmamoğlu, 55 ans, maire de la plus grande ville de Turquie et principal challenger potentiel du président Erdoğan, a été arrêté à son domicile par une unité spéciale de la police turque. Les images de l’arrestation, diffusées sur les réseaux sociaux malgré les tentatives de censure, montrent un déploiement disproportionné de forces pour interpeller un élu.

Les autorités ont invoqué des accusations graves :

  • Corruption présumée dans l’attribution de marchés publics
  • Liens allégués avec des “organisations terroristes”
  • Falsification de documents officiels

Cette arrestation intervient stratégiquement à quelques jours de la convention nationale du Parti républicain du peuple (CHP), lors de laquelle İmamoğlu devait probablement être désigné comme candidat à l’élection présidentielle de 2028.

Selon des sources proches du dossier, le parquet aurait accéléré l’enquête sur ordre direct du ministère de la Justice.

20 mars 2025 : La jeunesse universitaire se mobilise

À Ankara, capitale politique du pays, le mouvement de protestation a pris naissance dans les universités. Les étudiants de l’Université technique du Moyen-Orient (ODTÜ), historiquement connue pour son activisme politique, ont organisé une manifestation spontanée qui visait à rejoindre la place Kızılay, centre névralgique de la ville.

La réponse des autorités a été immédiate et brutale :

  • Déploiement massif de forces anti-émeutes
  • Utilisation de canons à eau, gaz lacrymogènes et balles en caoutchouc
  • Fermeture de la station de métro ODTÜ sur ordre direct du gouvernorat d’Ankara pour empêcher l’afflux de manifestants

En quelques heures, le mouvement s’est étendu aux autres universités prestigieuses de la capitale, notamment Hacettepe et Bilkent. Des professeurs ont rejoint leurs étudiants, publiant une déclaration commune dénonçant “l’instrumentalisation politique du système judiciaire” et “l’atteinte aux libertés académiques“.

20 mars 2025 (soirée) : L’appel historique à la mobilisation

Face à la montée des tensions, Özgür Özel, président du CHP, a organisé un rassemblement impromptu à Saraçhane, place emblématique d’Istanbul située près de la mairie métropolitaine. Devant une foule grandissante de plusieurs milliers de personnes, il a prononcé un discours qui restera comme un tournant dans cette crise :

“On me demande si j’appelle à descendre dans la rue. Oui, oui, oui ! Nous avons un droit constitutionnel à manifester pacifiquement. Ce n’est pas seulement notre droit, c’est notre devoir quand la démocratie est menacée. Aujourd’hui, nous ne défendons pas seulement Ekrem İmamoğlu, nous défendons la volonté populaire qui s’est exprimée dans les urnes.”

Cet appel a marqué un changement de stratégie pour l’opposition, traditionnellement prudente face aux manifestations de rue depuis la répression des événements du parc Gezi en 2013.

21 mars 2025 : Escalade de la répression

La mobilisation a pris une ampleur nationale. À Istanbul, la place Saraçhane est restée occupée par des dizaines de milliers de manifestants pacifiques malgré le déploiement d’un important dispositif policier. Des rassemblements similaires ont eu lieu dans d’autres grandes villes, notamment Izmir, Antalya et Adana.

À Istanbul, les étudiants ont tenté pour la troisième nuit consécutive de marcher vers la place Taksim, lieu symbolique des manifestations. Les affrontements avec les forces de l’ordre ont atteint un niveau de violence inédit :

  • Utilisation de drones pour larguer du gaz lacrymogène
  • Déploiement d’unités spéciales en civil infiltrées parmi les manifestants
  • Coupures d’électricité ciblées dans les quartiers universitaires

Le ministre de l’Intérieur, Ali Yerlikaya, a fait une déclaration télévisée annonçant l’arrestation de 97 personnes, qualifiées d'”agitateurs” et d'”éléments subversifs”, pour :

  • “Violation de la loi sur les manifestations et rassemblements”
  • “Dommages aux biens publics”
  • “Résistance aux forces de l’ordre”
  • “Diffusion de propagande terroriste”

Des organisations de droits humains ont rapporté que de nombreux manifestants, y compris des mineurs, avaient été détenus sans accès à un avocat pendant plus de 24 heures.

La réaction du pouvoir

Le discours d’Erdoğan

Dans une allocution télévisée depuis le complexe présidentiel de Beştepe, le président Recep Tayyip Erdoğan a adopté un ton particulièrement ferme :

“La Turquie est un État de droit. Personne n’est au-dessus des lois, quelle que soit sa fonction. Les enquêtes judiciaires suivent leur cours normal sans interférence politique. Ceux qui appellent à la violence dans les rues sous prétexte de défendre la démocratie sont les véritables ennemis de cette démocratie.”

Le président a directement visé l’opposition :

“Nous avons des preuves solides de liens entre certains dirigeants de l’opposition et des organisations terroristes qui cherchent à déstabiliser notre pays. La Justice turque est indépendante et prendra ses décisions en toute impartialité.”

Cette intervention présidentielle a été suivie d’une campagne médiatique orchestrée par les chaînes progouvernementales, présentant İmamoğlu comme un “agent de puissances étrangères” cherchant à “saboter l’économie turque“.

Mesures répressives

Dans la foulée de cette déclaration, le gouvernement a mis en place plusieurs mesures restrictives :

  • Restriction temporaire de l’accès aux réseaux sociaux (Twitter, Instagram, WhatsApp)
  • Suspension de plusieurs médias en ligne critiques du pouvoir
  • Déploiement préventif de forces de sécurité dans les quartiers stratégiques d’Istanbul et d’Ankara
  • Interdiction de tout rassemblement public dans 12 provinces pour une durée de 15 jours

Portrait d’Ekrem İmamoğlu : L’ascension du challenger

Des origines modestes à la conquête d’Istanbul

Né le 4 juin 1970 à Trabzon, ville portuaire de la mer Noire réputée pour son conservatisme, Ekrem İmamoğlu est issu d’une famille d’entrepreneurs de taille moyenne. Après des études d’administration des affaires à l’Université d’Istanbul, il intègre l’entreprise familiale de construction, qu’il développe considérablement dans les années 2000.

Son parcours politique commence tardivement, en 2008, lorsqu’il rejoint le CHP, parti kémaliste historique fondé par Mustafa Kemal Atatürk. Sa première expérience électorale significative intervient en 2014, quand il remporte la mairie de Beylikdüzü, district périphérique d’Istanbul. Sa gestion pragmatique et son approche non clivante lui valent une popularité croissante.

Le double scrutin qui a changé la donne

C’est en 2019 qu’İmamoğlu accède à la notoriété nationale. Candidat surprise à la mairie d’Istanbul, il remporte de justesse l’élection du 31 mars face au candidat de l’AKP, parti au pouvoir. Cette victoire est immédiatement contestée par le camp présidentiel qui obtient l’annulation du scrutin pour des irrégularités alléguées.

Le second scrutin, organisé le 23 juin 2019, se transforme en référendum sur le pouvoir d’Erdoğan. İmamoğlu l’emporte cette fois avec près de 800 000 voix d’avance, infligeant un revers historique au président turc. Sa phrase devenue célèbre, “Tout ira bien” (Her şey çok güzel olacak), est devenue le slogan d’espoir d’une partie de la population turque.

Cette victoire a une portée symbolique considérable : Istanbul, ville dont Erdoğan a été maire dans les années 1990 et qui représente près de 20% du PIB national, échappe pour la première fois en 25 ans au contrôle de l’AKP et de ses prédécesseurs islamistes.

Une gouvernance alternative

À la tête de la mégapole de 16 millions d’habitants, İmamoğlu a développé un style de gouvernance qui contraste avec celui du pouvoir central :

  • Transparence dans la gestion des finances municipales
  • Consultations citoyennes régulières
  • Modernisation des services publics
  • Politique sociale active (distribution de lait aux familles défavorisées, tarifs réduits pour les transports)
  • Projets environnementaux ambitieux

Il a su tisser une alliance improbable entre les classes moyennes laïques, les Kurdes, et certains conservateurs déçus par la gestion économique du gouvernement national.

Sa popularité dépasse désormais largement les clivages traditionnels de la politique turque. Les derniers sondages le créditaient de 54% d’opinions favorables à l’échelle nationale, soit près de 10 points de plus que le président Erdoğan.

Les enjeux d’une crise multidimensionnelle

Un contexte économique fragile

Cette crise politique intervient dans un contexte économique particulièrement tendu pour la Turquie. La livre turque a perdu plus de 15% de sa valeur depuis le début de l’année 2025, l’inflation officielle dépasse 40% (certains économistes indépendants l’estiment à plus de 100%), et le chômage des jeunes atteint des niveaux records.

La politique économique non conventionnelle d’Erdoğan, caractérisée par son refus d’augmenter les taux d’intérêt malgré l’inflation galopante, a conduit à une érosion constante du pouvoir d’achat des classes moyennes et populaires, autrefois soutien électoral fidèle de l’AKP.

L’échéance de 2028

L’arrestation d’İmamoğlu s’inscrit dans une stratégie de long terme visant l’élection présidentielle de 2028. Après sa réélection en 2023, Erdoğan ne pourra théoriquement pas se représenter, à moins d’une modification constitutionnelle. Plusieurs scénarios sont envisagés dans les cercles politiques :

  • Une succession dynastique, avec la montée en puissance de son fils Bilal Erdoğan
  • Une modification constitutionnelle permettant un nouveau mandat
  • L’émergence d’un dauphin au sein de l’AKP

Face à ces options, İmamoğlu représente la principale menace pour la continuité du système mis en place par Erdoğan. Son arrestation pourrait viser à le disqualifier juridiquement de la course présidentielle, suivant un schéma déjà appliqué à d’autres figures de l’opposition comme Selahattin Demirtaş.

Réactions internationales

La crise a suscité de vives réactions internationales. L’Union européenne, par la voix de sa Haute Représentante pour les Affaires étrangères, a exprimé sa “profonde préoccupation face à l’érosion continue de l’État de droit en Turquie” et appelé à “la libération immédiate d’Ekrem İmamoğlu”.

Les États-Unis ont adopté une position plus mesurée, appelant au “respect des procédures judiciaires” tout en rappelant “l’importance du pluralisme politique dans toute démocratie fonctionnelle”.

La Russie et la Chine, partenaires stratégiques d’Ankara, ont quant à elles souligné qu’il s’agissait d’une “affaire intérieure turque”, réaffirmant le principe de non-ingérence.

Enfin, plusieurs maires des grandes villes, notamment ceux de Paris, Rome, Barcelone, Strasbourg, Amsterdam, Milan entre autres, ont apporté leur soutien à Ekrem IMAMOGLU dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux.

Perspectives : Vers une mobilisation durable ?

L’ampleur et la spontanéité des manifestations suggèrent un changement significatif dans la société civile turque, longtemps intimidée par la répression qui a suivi la tentative de coup d’État de 2016 et les événements du parc Gezi en 2013.

Plusieurs facteurs pourraient influencer l’évolution de cette crise :

  • La durée de détention d’İmamoğlu et les charges formelles retenues contre lui
  • La capacité de l’opposition à maintenir une mobilisation unitaire
  • L’attitude des médias internationaux et la pression diplomatique
  • La réaction des marchés financiers, particulièrement sensibles à l’instabilité politique

Les prochains jours seront décisifs pour déterminer si ce mouvement constitue une véritable inflexion dans la trajectoire politique de la Turquie ou s’il sera, comme d’autres avant lui, contenu par l’appareil sécuritaire de l’État.

La démocratie ne se réprime pas. Elle se respecte !

Face à la répression, nous affirmons notre solidarité avec celles et ceux qui luttent pour la démocratie en Turquie. L’arrestation arbitraire d’un élu du peuple est une dérive autoritaire inacceptable.

Nous nous tenons aux côtés de toutes celles et ceux qui se mobilisent pour défendre la démocratie, la justice et les droits fondamentaux en Turquie.

Le respect de la volonté populaire, de la liberté académique et de la liberté de manifester sont des piliers essentiels de toute société démocratique.

La libération immédiate d’Ekrem İmamoğlu et de toutes les personnes détenues pour avoir exprimé pacifiquement leur désaccord est une priorité absolue dans une société démocratique.

La démocratie ne se réprime pas. Elle se respecte.

Yazar Hakkında

Fransız Gastesi

Yorum yap

Paylaş
Bağlantıyı kopyala